Ketty Steward écrit lentement et parle plusieurs langues
La nouvelettre de juillet ralentit et médite sur le plurilinguisme
L'été est là et je me demande, comme souvent, et à l'instar d'Albert Moukheiber, à quoi rime ce rythme insensé. Est-ce que la perspective des vacances n'est pas un prétexte pour ne pas décrocher des activités le reste de l'année ?
Pour la première fois depuis longtemps, mes vacances commencent avec celle des scolaires et j'ai décidé de me lâcher la grappe.
« Tu pars où ?
—J’ai décidé de visiter ma ville. »
Ce dialogue s’est produit à répétition. J'aurais dû ajouter "lentement" pour éviter les listes interminables de recommandations. J'ai le temps. Je me le laisse.
En bref
Toujours: Mon nouveau site internet
16/07 : Le Dead pour tuer le doute à la licorne noire
16/07 : Date limite pour le jeu des 25 ans des Utopiales
10/08 : prochaine nouvelettre avec les nombreux rendez-vous de l’automne
Déjà: Le Futur au pluriel : réparer la science-fiction est de retour.
La citation du mois
« Épuisée, elle avait préféré dormir, quitte à perdre huit heures sur le peu de temps qu’il lui restait pour valider sa candidature et vérifier ses réponses, l’esprit clair et reposé.
« Acceptez-vous de vous soumettre au système de mutualisation des récupérations acquises au prorata des efforts attribués dans les équipes d’appartenance ? » avait demandé un des quatre recruteurs. Mona avait dit oui, bien entendu, et se retrouvait à vérifier sur Les Réseaux l’usage des différents termes, séparés, puis regroupés, et à chercher des exemples des implications pratiques dudit système.
En clair, les congés n’étaient pas acquis par les individus, mais globalisés par équipe (sachant qu’une même personne pouvait se trouver dans plusieurs équipes), et des règles de répartition, ainsi qu’un indice forgé à partir de l’ancienneté, le niveau hiérarchique et la rentabilité, dictaient la répartition par tête. »
Cet extrait vient de Tomies, un de mes nombreux textes sur le thème du travail. Il a été publié en 2023 dans le recueil collectif « Travailler Encore ? »
Dernièrement
Le #Writever du mois s’appuie sur une liste de Li Cam qui a choisi le thème de la psyché. La liste et les participations sont disponibles sur Mastodon et sur Bluesky. Li Cam a, quant à elle, une newsletter mensuelle que l’on peut trouver ici.
La piste audio de ma conférence du 23 mai donnée dans le cadre de la Journée de celles et ceux qui font bouger les territoires est disponible en podcast. J’y parle de futurs pluriels et situés.
Le DEAD (Dispositif d’Écriture pour Adultes qui Doutent) s’est réuni au bar culturel La Licorne Noire le 18 juin. Rires, caviardages et points de vue d’objets étaient au programme.
Le jeudi 12 juin, j’ai parlé imaginaire spatial au MAIF social Club avec Natacha Vas Deyre lors d’une soirée organisée par Usbek et Rica. Le public était présent et enthousiaste. J’en ai profité pour visiter l’expo Chaomos, toujours visible jusqu’au 26 juillet.
Le 24 juin, dans le cadre des journées de la Médecine narrative, j’ai pu présenter en tandem avec Arnaud Plagnol, une communication intitulée « Ce qui déborde le récit ». Nous sommes revenus sur les limites du récit (parfois impossible, toujours collectif et inachevé) et avons évoqué des pistes pour les prendre en compte dans le soin psychique.
Le 27/06, La Licorne Noire a accueilli la Concérence 2, mon spectacle chant et lecture qui explore mon lien avec les Antilles. J’ai eu la chance d’être accompagnée à la guitare par Mikaël Cabon et soutenue par un public intéressé et courageux, présent malgré la vague de chaleur.
Le Futur au pluriel : réparer la science-fiction est de nouveau disponible, tout beau, tout propre des menues coquilles de la première impression.
Le 9 Juillet, je proposais un atelier d’écriture appelé « L’histoire est en vous » aux chercheureuses et médiateurices prenant part à l’école d’été en médiation organisée à la Cité des Paysages de Sion, par l’Université de Lorraine. L’occasion pour les participantes de faire un pas de côté pour mieux redécouvrir leurs travaux dans un univers de science-fiction coconstruit.
J’ai participé, ce 10 juillet à la programmation Extended du NIFFF, dans une table ronde consacrée au care et à la science-fiction. Sylvie Allouche, Vincent Gerber et moi, répondions aux questions de Colin Pahlisch.
Pendant ce temps, vous continuez à lire Foodistan, Saletés d’hormones et autres complications, Confessions d’une séancière, L’Évangile selon Myriam, Le Futur au pluriel réparer la science-fiction et mes nouvelles un peu partout.
Dans l’atelier : Combien de langues ?
« Vous parlez plusieurs langues, vous, Ketty? », me demandait récemment une interlocutrice.
J'avais bafouillé une sorte de « non, euh, oui » avant d'essayer d'énumérer les langues dans lesquelles je pourrais me débrouiller.
Le français, l'anglais ?
Je saurais ne pas mourir de faim en espagnol et même en portugais du Brésil puisque j'ai consacré plus de 1150 jours à jouer à apprendre cette langue.
“Vous parlez plusieurs langues ?” était une formulation particulière, qui ne demandait pas directement une liste, mais me semblait davantage interroger une capacité.
Je me suis empressée d'ajouter le créole et, le temps de répondre à l'habituelle question sur l'existence d'une forme codifiée et d'un CAPES pour l'enseigner (oui, comme le breton), je revenais à ma réflexion sur la capacité.
"Avez-vous ce super pouvoir ? " me demandait-on, en somme. Et la réponse était oui.
Il me semble que la capacité à parler, à penser, à concevoir le monde dans plusieurs langues va de pair avec celle de prendre de la distance vis à vis de sa langue maternelle.
Quand le monde n'est descriptible qu'à partir d'un système de signes unique, il est sans doute plus compliqué de voir ce système comme relevant de choix plutôt que comme le reflet exact du monde.
Savoir qu'il existe d'autres façons de dire et donc de voir permet de percevoir la trame derrière les tableaux et les possibilités qui n'ont pas été choisies.
Il est probable, cependant, que la capacité seule ne suffise pas. Je connais des traducteurices dogmatiques, convaincues qu'il existe une bonne manière de dire et que leur raison d'être est de la trouver.
De même, un de mes ex-partenaires avait deux langues principales et en maîtrisait deux autres, mais supportait mal les régionalismes et les libertés poétiques que l'on peut prendre avec la langue. Il voulait que son français marche au pas et ne passait d'une langue à l'autre qu'avec une table de conversion stricte.
« Ça n'existe pas dans cette langue » ou « il y a plusieurs façons de le dire » étaient des déclarations qui le mettaient très mal à l'aise.
J'ai le souvenir net de disputes portant sur le vocabulaire, à une époque où laisser tomber n'était pas de mes options
À bien y réfléchir, la capacité à passer d'une langue à l'autre n'est peut-être même pas nécessaire à ce regard méta qui me semble essentiel et à la possibilité de questionner sa propre langue. Qu'on se rappelle l'étonnement qui nous saisissait, quand, enfants, nous découvrions quelques-unes des anomalies grammaticales et orthographiques dont regorge le français ! Par quelle opération magique certaines d'entre nous, sommes passées de cette perplexité à la posture de gardiennes de la langue et de ses statues immuables et immortelles?
Dans une précédente lettre, je parlais des maths comme d'une langue parmi les autres avec une vision du monde, une culture même, qui lui serait associée.
Récemment, sur le réseau LinkedIn que je fréquente un petit peu trop ces derniers mois, je lisais un post d'un correcteur qui adoptait la posture inverse. Il disait que, du fait de son diplôme d'ingénieur, il voyait les textes comme des démonstrations mathématiques où le moindre couac lui apparaîtrait comme une erreur à corriger. Il parlait de la langue comme obéissant à un système de règles strictes dont il vérifiait l'usage conforme. Et de conclure : « c'est pour cela que je suis un bon correcteur. »
Pour quelqu'un qui produit du texte et de la langue, cependant, il me semble qu'une telle approche serait un défaut. Que peut-on créer de nouveau quand c'est la conformité qui nous guide? Quel recul avons-nous quant à la langue que nous utilisons si nous ne connaissons qu'elle et ne la questionnons plus? Quel regard portons sur l'histoire dont elle porte la marque ? Quelle imagination sur ce qu'elle aurait pu être, si notre but est de la préserver ?
Il existe peut-être des études visant à répondre à la question : « Qu'est-ce que ça change de parler plusieurs langues? » Je n'ai pas encore cherché.
Mais vous? Vous en pensez quoi ? Est-ce que vous parlez plusieurs langues ? Est-ce que c'est un super pouvoir ?
Prochainement
Le DEAD (Dispositif d’Écriture pour Adultes qui Doutent) propose une séance estivale au bar culturel La Licorne Noire le mercredi 16 juillet de 18 h à 20 h. C’est sur inscription : lalicornenoireprog@gmail.com Paiement sur place 20€ - 10€ - 30€ (tarifs : conseillé - solidaire - de soutien)
Le Festival les Utopiales fête ses 25 ans avec un jeu de cartes dont le financement participatif est presque terminé. Si vous voulez y contribuer et le découvrir, c’est sur Ulule, jusqu’au 16 juillet.
J’écris
Les projets de recueils s'amoncellent: les corps au travail, le temps, un recueil fantastique. Aucun n'est complet. J'ai rédigé un texte sur une greffe de corps et imaginé un titre pour les deux premiers, sur le modèle de Saletés d'hormones et autres complications.
Des propositions d'articles ont été acceptées et sont devenues des cases à cocher d'une todo liste.
Myriam se remaquille et n'en finit pas de se préparer pour la rédaction de son testament.
Vous aimez mon travail, vous pouvez vous procurer mes ouvrages dans votre librairie préférée. Vous voulez me soutenir, mais vous avez déjà tous mes livres ? Vous pouvez m’offrir un café !
Une question, une remarque sur le contenu de cette lettre ou sur mon travail ? Écrivez-moi.